Anny Modi : Championne des droits des femmes au Congo
Les Champions du changement sont des individus qui ont eu un impact dans leurs communautés en favorisant des sociétés plus pacifiques, justes et inclusives (Objectif de Développement Durable ou “ODD” 16+). Lancée par Pathfinders, cette initiative met en avant des personnes, des entreprises et des organisations qui réalisent des actions extraordinaires pour autonomiser et inspirer les membres de leurs communautés. Cet entretien de la série Champions du changement a été réalisée en partenariat avec le Groupe d’Etude sur le Congo du Centre pour la Coopération Internationale de l’université de New York (New York University). Une version audio complète est disponible sur leur podcast Masolo Ya Kati.
Dans cet entretien, Léah Guyot et Alice Viollet s’entretiennent avec Anny Modi, militante pour les droits des femmes en République Democratique du Congo (RDC) et fondatrice de l’organisation non gouvernementale (ONG) Afia Mama. Ensemble, elles examinent la situation des droits des femmes en RDC, les défis auxquels elles font face pour l’accès à la justice, ainsi que les initiatives proposées par Afia Mama pour y remédier.
Question: Anny, qu’est-ce qui vous a motivée à devenir activiste pour les droits des femmes ?
Réponse: Mon histoire commence lors de mon enfance, pendant laquelle j’ai été très protégée par mon père. Cependant, son décès à mes 13 ans a bouleversé ma vie. En effet, de son vivant, je ne connaissais pas la différence entre garçons et filles. Il ne m’a pas appris à être une fille, mais à être un être humain. Je me considérais, et était considérée, simplement comme une enfant, dont le seul devoir était d’aller à l’école comme ses frères. La perte de mon père a brisé cette illusion. Je me suis soudainement confrontée aux attentes sociales et culturelles liées à mon genre.
Ce changement a été encore plus marqué lorsque j’ai déménagé à Goma, à l’Est de la RDC, pendant une période tumultueuse de tensions et de mouvements de réfugiés rwandais, à peine deux mois avant le déclenchement de la deuxième guerre du Congo en 1998.
À Goma, mon apparence physique a été source de différences. Je ne correspondais pas aux normes locales, ce qui a engendré un rejet de la part de ma propre communauté. La guerre a ajouté un autre niveau de complexité à ma situation. Les suspicions sur mon origine ethnique m’ont conduite à des interrogatoires et à des vérifications humiliantes.
À 17 ans, enceinte dans une zone de guerre et sans soutien, j’ai dû affronter des défis considérables. Les problèmes liés à mon apparence et le decalage entre mon comportement et ce qui était attendu d’une femme continuent.
La naissance de ma fille, deux mois après mon dix-huitième anniversaire, a marqué un tournant décisif dans ma vie. C’est à ce moment-là que j’ai pris la résolution de lui offrir un monde meilleur, où les femmes ont le droit à la parole, où elles ne sont pas forcées d’admettre une identité dont elles ne veulent pas, où elles peuvent être elles-mêmes, et où elles peuvent contribuer au développement de leur communauté et réaliser leur potentiel personnel.
Après un retour compliqué vers Kinshasa, j’ai été détenue et interrogée par les services de renseignements qui me suspectaient d’être une espionne à cause de mon apparence. Suite à cela, nous avons fui vers l’Afrique du Sud, où nous avons été des réfugiés. Là-bas, j’ai réalisé que d’autres femmes congolaises étaient confrontées à des défis en raison de la barrière linguistique et de l’absence de documents. J’ai alors décidé de m’engager activement pour leur cause. Après quelques années, j’ai décidé de retourner en RDC pour fonder Afia Mama, une organisation qui donne la parole aux femmes et lutte pour leurs droits.
Q: Quelle est votre perception des « droits des femmes » et pourquoi vous engagez-vous à les défendre et les promouvoir?
R: Je me réfère souvent à cette citation : « les droits des femmes sont des droits humains ». Pour moi, cela signifie simplement reconnaître la pleine humanité des femmes. Elles ont le droit de naître, de recevoir une éducation, de se développer et de contribuer à leur communauté de manière indépendante.
Pour moi, les droits des femmes consistent à leur accorder la liberté de faire leurs propres choix, et de ne pas être forcées d’accepter ce que la société veut leur imposer. En RDC, les droits des femmes sont, pour la plupart, garantis par les textes légaux. Cependant, si je milite, c’est parce que ces droits ne sont pas respectés, les lois ne sont pas appliquées, et ceux qui ne respectent pas ces lois ne sont pas punis. C’est pourquoi je m’engage à défendre les femmes qui ne peuvent pas se défendre elles-mêmes, afin que ces droits soient pleinement appliqués et que ceux qui les violent soient tenus responsables devant la loi.
Q: Quels domaines des droits des femmes vous sont prioritaires et vous tiennent le plus à cœur en tant que militante et pourquoi ?
R: Je suis profondément touchée par la lutte contre l’injustice sociale, en grande partie en raison de mes propres expériences. Ayant été confrontée à l’injustice, à l’exclusion, au rejet et à la stigmatisation depuis mon enfance, je comprends les conséquences dévastatrices de ces injustices sur le développement personnel. Pourtant, je considère ces épreuves comme des opportunités de renforcement et de croissance, m’aidant à devenir plus résiliente.
Aujourd’hui, je me consacre activement à promouvoir l’accès à la justice pour les femmes et les filles. Je crois fermement que la lutte contre les violences basées sur le genre et la participation des femmes aux processus de décision sont essentielles pour combattre l’injustice sociale. En effet, l’absence de femmes dans les sphères décisionnelles entrave souvent le progrès vers des sociétés plus justes. Pour arriver à cela, je me suis investie dans la protection de la fille et en particulier, dans la lutte pour l’accès à l’éducation et contre les mariages précoces.
Q: En RDC, l’est du pays est marqué par des conflits et des déplacements massifs, engendrant violence et instabilité politique. Quelles sont les implications de cette crise sur les droits des femmes, notamment en termes de violence basée sur le genre ?
R: Le contexte des guerres en RDC est devenu un problème quasi chronique, s’étalant sur plus de 30 ans. Les déplacements massifs de populations et l’instabilité politique rendent la situation des droits des femmes encore plus critique. Bien que les femmes ne soient pas souvent impliquées directement dans les causes des conflits, elles en subissent les conséquences les plus dévastatrices, notamment les violences sexuelles.
Au fil du temps, les traitements inhumains se sont intensifiés. Les violences sexuelles, autrefois présentes pendant les périodes de guerre, ont atteint des niveaux alarmants, notamment avec l’exploitation sexuelle des mineures dans les camps de déplacés. Malgré nos alertes en tant qu’activistes de terrain, la situation a souvent été ignorée jusqu’à ce que le nombre croissant de maisons closes dans les environs des camps de déplacés ne devienne impossible à ignorer.
L’absence de prise en compte des voix des activistes de terrain au moment opportun engendre et entretient une dynamique de réactivité plutôt qu’une dynamique de prévention efficace des conséquences désastreuses. Cette crise prolongée a non seulement entraîné la perte de dignité humaine des femmes et des filles, mais a également banalisé leurs corps, les rendant vulnérables aux violences, y compris de la part de leur propre communauté.
Des plateformes comme la vôtre permettent d’amplifier la voix de ces femmes et d’attirer l’attention sur les conséquences des conflits sur le corps des femmes. J’insiste qu’il est urgent que les auteurs de ces violences soient tenus responsables, que ce soit devant la Cour pénale internationale ou devant les gouvernements. Tant que l’impunité persiste, le corps des femmes continuera d’être exploité et banalisé. Nous, les activistes, commençons à craindre pour notre sécurité, non seulement car nous défendons les droits des femmes dans des contextes difficiles, mais parce que nous sommes des femmes.
Q: Comment les normes culturelles en RDC contribuent-elles à la perpétuation des violences basées sur le genre ? Et comment l’éducation peut-elle renforcer la connaissance des droits des femmes?
R: Effectivement, les normes et pratiques sociales exercent une influence majeure sur les différentes formes de violence subies par les femmes et les filles en RDC. Bien que des lois existent pour les protéger, les rumeurs peuvent souvent raviver ces normes préexistantes. C’est pourquoi notre travail avec les détenteurs de pouvoir sociaux est crucial.
De plus, bien que la RDC soit un pays laïque, l’influence de la religion est telle que la parole d’un pasteur peut valoir plus qu’une disposition légale. En travaillant avec les leaders communautaires, tels que les chefs coutumiers et les religieux, nous cherchons à changer les normes sociales négatives en des attitudes positives, favorisant ainsi la sécurité et le bien-être des femmes et des filles.
La communication joue un rôle essentiel dans ce processus, en déconstruisant les normes sociales préjudiciables et en les remplaçant par des informations correctes. Nous nous efforçons également de cibler les conséquences de la désinformation, des messages haineux et des rumeurs, qui reposent souvent sur des croyances plutôt que sur des faits vérifiables. Par exemple, si vous vivez dans une communauté qui accepte les mariages précoces et qu’une femme de plus de 18 ans n’est pas encore mariée, des rumeurs commenceront à circuler selon lesquelles elle a des mœurs légères, ce qui explique pourquoi elle n’est pas mariée.
De même, en ce qui concerne la participation des femmes à la vie politique, des rumeurs circulent selon lesquelles les femmes qui s’engagent dans la politique sont des femmes aux mœurs légères. Cela empêche les femmes ou les jeunes femmes de s’engager en politique, alors que c’est en s’engageant en politique qu’elles peuvent se retrouver aux tables de décision.
L’éducation, qu’elle soit formelle ou informelle, a historiquement contribué aux inégalités sociales dans notre société. Autrefois, les opportunités éducatives étaient limitées pour les filles. Aujourd’hui, bien que les choses aient évolué, des normes sociales persistantes continuent à limiter les opportunités des filles et des femmes.
Pour remédier à cette situation, nous sommes obligés de travailler sur plusieurs fronts. Premièrement, nous sensibilisons les parents et les familles sur l’importance de l’éducation pour les filles. Ensuite, nous éduquons les enfants sur leurs droits, afin qu’ils puissent dénoncer les pratiques discriminatoires.
En parallèle, nous collaborons avec le système éducatif pour améliorer les programmes scolaires, en veillant à ce qu’ils promeuvent l’égalité des genres et les droits des enfants. Enfin, nous travaillons avec les médias et les artistes pour diffuser des messages d’égalité et d’inclusion, rendant ainsi ces idées accessibles à un large public. Car l’éducation est la clé du changement : pour revendiquer ses droits, il faut d’abord les connaître, et cela passe par l’alphabétisation et la sensibilisation. En plaidant également pour une plus grande participation des femmes aux processus de gouvernance, nous affirmons que l’éducation est désormais une nécessité, permettant à chacun, homme ou femme, de prétendre à des postes de responsabilité.
Q: L’accès à la justice pour les femmes est souvent complexe. Un rapport du World Justice Project indique que les femmes rencontrent plus d’obstacles que les hommes dans 70 % des pays, avec des difficultés supplémentaires dans plus de la moitié des pays du monde. Quels sont les défis principaux pour les femmes en RDC en termes d’accès à la justice?
R: L’accès à la justice pour les femmes en RDC représente en effet un défi majeur à plusieurs niveaux. Tout d’abord, de nombreuses femmes, en particulier celles vivant dans des régions rurales, sont confrontées à des obstacles liés à l’ignorance de leurs droits et de leurs devoirs. En raison du manque d’éducation et de sensibilisation, elles ne sont souvent pas conscientes des recours juridiques disponibles pour faire face aux injustices qu’elles subissent. De plus, l’analphabétisme demeure un problème répandu parmi la population féminine, ce qui rend difficile pour les femmes l’accès aux informations juridiques et la compréhension des procédures judiciaires.
Il y a donc ce défi lié à l’ignorance des ses droits et de la possibilité d’avoir recours à la justice, mais par moment, la justice est tout simplement éloignée des justiciables. En effet, dans de nombreuses régions reculées, l’accès physique aux tribunaux est également limité en raison de l’éloignement géographique et du manque de transport adéquates. Par exemple, dans la province de la Tshopo, les femmes peuvent être contraintes de parcourir des centaines de kilomètres pour atteindre les juridictions compétentes.
La question du pouvoir économique est un autre obstacle majeur à l’accès à la justice pour les femmes. Les coûts associés à la recherche de justice, tels que les frais de justice, les honoraires d’avocat et les dépenses de déplacement, peuvent être prohibitifs pour de nombreuses femmes, en particulier celles issues de milieux défavorisés.
Par ailleurs, la corruption au sein du système judiciaire et les arrangements informels compromettent souvent l’équité des procédures judiciaires, notamment dans les cas de violences sexuelles et de mariages précoces. Ces pratiques contribuent à l’impunité pour les auteurs de crimes contre les femmes et entravent l’accès des femmes à une justice équitable et efficace.
Enfin, et ce malgré les efforts déployés par l’État pour améliorer l’accès à la justice, notamment par le déploiement de magistrats dans les régions reculées, de nombreux obstacles persistent. Pour surmonter ces défis, il est nécessaire de tenir compte des normes sociales et des leaders communautaires, de renforcer l’éducation juridique des femmes, d’améliorer l’accessibilité physique et financière aux tribunaux, et de lutter contre la corruption au sein du système judiciaire. C’est pourquoi, en tant que défenseure des droits des femmes, je mets un accent particulier sur l’accès à la justice des femmes à travers le travail que nous faisons à Afia Mama avec nos partenaires du cabinet KTF-Lawyers.
Q: Quelles sont les initiatives d’Afia Mama pour faciliter l’accès à la justice des femmes et les aider à comprendre et à utiliser la loi pour défendre leurs droits?
R: Nous nous engageons dans de multiples initiatives. Premièrement, nous travaillons à rendre les textes de loi plus accessibles, à la fois dans leur fond et dans leur forme. Par « forme », je veux dire la langue utilisée et les moyens de diffusion de ces textes, car plus la population est informée, plus les femmes sont conscientisées, plus elles seront en mesure de dénoncer les injustices et plus la justice pourra intervenir efficacement, réduisant ainsi ces problèmes. Notre objectif est de rendre aux femmes le pouvoir que les lois leur accordent.
A Afia Mama, nous avons adopté une stratégie innovante en partenariat avec un cabinet d’avocats, KTF-Lawyers. Nous avons adapté notre approche au contexte socioculturel afin de réduire la stigmatisation des femmes qui demandent une aide juridique.
Par exemple, lorsque les femmes demandent de l’aide dans les cliniques juridiques, elles sont perçues comme des victimes de violence, ce qui conduit souvent à la stigmatisation et aux rumeurs, et décourage également les autres femmes de demander de l’aide. C’est pourquoi nous avons changé notre approche en nous associant à un cabinet d’avocats, où les femmes sont traitées comme n’importe quel autre client, ce qui réduit considérablement la stigmatisation et améliore l’issue des décisions juridiques.
Nous avons développé un partenariat entre Afia Mama, notre ONG connue pour sa lutte contre les violences basées sur le genre, et un cabinet d’avocats, KTF-Lawyers. À Afia Mama, lorsqu’une femme s’adresse à nous pour des violences domestiques, nous veillons à assurer un suivi psychologique et médical, mais aussi à orienter les survivantes vers le cabinet d’avocats. Ainsi, plutôt que de se rendre dans des cliniques juridiques où leur situation est exposée publiquement, nous veillons à ce que le traitement de leur cas soit discret et professionnel. Cette approche permet de garantir la dignité et la sécurité des femmes, en particulier lorsqu’elles sont confrontées à des situations de violence domestique et sexuelle. De plus, elle a considérablement amélioré les résultats des procédures judiciaires, car elle réduit aussi les coûts liés à l’accès à la justice et évite les retards souvent observés lorsque les cas sont traités dans le cadre d’un projet financé par une ONG.
Et maintenant, parallèlement à cette approche, nous avons mis en place ce que nous appelons la « maison d’aide sociale » , qui est un « one-stop shop » (guichet unique). La différence notable est que notre maison du bien-être ne porte pas ce nom à l’extérieur. Elle est discrète, disponible et entièrement équipée.
Lorsque la sécurité d’une femme est menacée (par exemple, si elle risque d’être ramenée chez son agresseur après avoir dénoncé sa propre famille), nous garantissons sa sécurité en lui proposant de l’héberger temporairement dans cette maison. Pendant son séjour dans notre maison d’accueil, la femme bénéficie d’un soutien complet, avec la présence d’un psychologue et d’un travailleur social. Si elle souhaite recevoir des soins médicaux, nous nous chargeons d’organiser l’assistance médicale nécessaire. Cette approche garantit la dignité humaine de la femme, réduit la stigmatisation et renforce sa protection.
Cela nous permet d’aller jusqu’au bout dans le processus judiciaire. Nous avons constaté des résultats significatifs avec cette approche. Nous avons obtenu plusieurs jugements, condamnations et même réparations. En comparaison, les statistiques nationales montrent que les décisions de justice dans les cas de violence basée sur le genre atteignent rarement plus de 10%. En tant qu’ONG, notre nouvelle approche nous a permis d’atteindre un taux de décisions de justice bien supérieur à la moyenne nationale, jusqu’à 65% dans les cas que nous avons traités.
De plus, en parallèle de cette approche, nous excellons également dans le plaidoyer. Une fois que nous prenons en charge des affaires, nous identifions les décideurs qui peuvent garantir que le cas de cette victime est bien traité, sans aucun problème de corruption pouvant entacher les affaires. S’il y en a, les avocats vont parfois récuser les juges ou les procureurs jusqu’à ce que nous obtenions une décision judiciaire.
Q: Comment votre engagement au Congo se connecte-t-il à votre participation à des forums internationaux comme la Commission de la condition de la femme (Commission on the Status of Women, CSW)? Y a-t-il des différences entre ces deux domaines et comment vos expériences au Congo influent-elles sur votre rôle dans ces espaces internationaux?
R: Personnellement, mon expérience lors de ma participation à des forums internationaux en tant qu’activiste des droits des femmes a permis à d’autres acteurs, notamment les partenaires de la RDC, de mieux comprendre les problèmes sociaux et les défis auxquels les femmes congolaises sont confrontées. Cela a facilité une meilleure orientation de l’appui vers la RDC, en mettant l’accent sur les domaines nécessitant une attention particulière.
En tant qu’activiste, je me réjouis de cette contribution, car elle permet de combler le décalage parfois constaté entre la réalité sur le terrain et ce qui est présenté par le gouvernement congolais. Nous ne nous opposons pas aux gouvernements, mais nous agissons en complémentarité pour souligner ce qui a été accompli et ce qui reste à faire. Cependant, il arrive parfois que nos points de vue en tant qu’acteurs de première ligne ne soient pas immédiatement pris en compte ou sérieusement considérés, ce qui peut entraîner des conséquences regrettables. Pourtant, notre contribution est essentielle à la prévention des problèmes à l’avenir.
Néanmoins, il est encourageant de constater que notre voix est davantage prise au sérieux au niveau national lorsque nous sommes entendus à l’international, comme lors de mes interventions au Conseil de sécurité des Nations Unies. Cela renforce la légitimité de la société civile et des activistes des droits des femmes au Congo aux yeux des décideurs locaux.
Un autre exemple significatif est celui de la participation des femmes aux processus de paix. Lorsque nous soulignons l’absence de femmes dans ces processus au niveau international, cela incite les parties belligérantes à considérer l’inclusion des femmes dans leurs délégations. Ainsi, notre engagement au niveau international contribue à ce que nos préoccupations soient prises en compte par les décideurs et à ce que nos propositions pour résoudre les problèmes qui nous affectent soient sérieusement considérées.
Q: Quelles sont les réussites dans le cadre de votre travail qui vous tiennent particulièrement à cœur et que vous souhaitez mettre en avant?
R: La publication du protocole de Maputo au journal officiel après dix années de lutte a été un moment crucial, ouvrant la voie à l’accès des femmes à des services qui leur reviennent de droit.
J’aimerais souligner aussi mon parcours personnel atypique. Ayant interrompu mes études à plusieurs reprises, je n’ai pas obtenu de diplôme académique, mais mon expérience m’a permis de développer une expertise qui me permet aujourd’hui de donner la voix à d’autres.
Ce qui compte le plus pour moi, c’est de pouvoir avoir un impact sur la vie de milliers de personnes. Avec Afia Mama, nous comptons plus de 1500 volontaires bénévoles. Savoir que l’on contribue à l’amélioration du statut des autres, à faire entendre leur voix, à résoudre leurs problèmes, à mettre un sourire sur leur visage, à mettre des repas sur leur table, à mettre un toit sur leur tête… Je pense que ce sont des réalisations qui procurent un sentiment d’accomplissement d’une mission divine.
Q: Pourriez-vous nous en dire davantage sur les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?
R: Actuellement, nous sommes engagés dans un projet de lutte contre la violence faite aux femmes dans la province de la Tshopo en RDC. Ce projet comprend plusieurs volets, notamment l’accès à la justice, l’autonomisation économique, l’apprentissage des métiers et la vulgarisation des textes de loi. Ce projet est particulièrement significatif pour Afia Mama car, pour la première fois, nos experts, en collaboration avec des avocats, tels que Frédéric Kwamba Tshingej du Cabinet KTF Lawyers, ont rédigé une loi, née de nos observations dans le cadre de notre travail avec les femmes, fixant des modalités pratiques de lutte contre les violences basées sur le genre et de promotion des droits d’accès à la justice pour la province de la Tshopo. Cette loi a été votée et promulguée le 10 avril 2023 par Madame la Gouverneure de la Tshopo. Nous sommes maintenant en train de travailler sur la vulgarisation de cette loi.
En parallèle, nous travaillons sur des projets de lutte contre le mariage précoce dans la région du Katanga, au sud-est du pays, ainsi que sur des questions de participation des femmes dans les processus de paix au niveau communautaire dans le Nord-Kivu.
Nous menons également des interventions humanitaires dans le nord du pays et dans la province des Littouris. Dans d’autres régions telles que l’Équateur et Kinshasa, nos projets portent sur la vulgarisation des lois, la lutte contre les violences basées sur le genre, l’exploitation sexuelle, ainsi que sur la santé sexuelle et reproductive (accès aux methodes contraceptives, accès aux soins complets d’avortement, accès aux soins liés aux maladies sexuellement transmissibles).
Nous travaillons également sur la protection de la mère et de l’enfant, notamment en ce qui concerne la planification familiale et la santé des enfants. Nous menons aussi des plaidoyers au niveau local, provincial et national pour les droits d’accès à la terre et à l’héritage des femmes, ainsi que pour la révision du code pénal en lien avec l’accès à l’avortement afin d’elargir les exceptions. De plus, nous lançons un projet de lutte contre la désinformation et les discours de haine.
Enfin, nous sommes sur le point de finaliser la construction de notre propre maison d’aide sociale à Kinshasa, ce qui nous permettra de fournir un lieu sûr et approprié pour soutenir les femmes dans le besoin.
Q: Quel est votre espoir pour l’avenir des femmes en RDC ? Quels changements vous semblent essentiels pour un avenir plus équitable et prometteur, et comment comptez-vous y contribuer?
R: Je vois toujours le verre à moitié plein, et je constate que nous disposons déjà de nombreux droits garantis dans notre législation. Mon espérance est que nous puissions progresser grâce à une meilleure compréhension de nos combats, qui ne sont pas des luttes de femmes contre hommes, mais plutôt pour l’équilibre social, le partage équitable du pouvoir et des ressources. De plus en plus d’hommes rejoignent notre cause, ce qui est encourageant. Il n’y a que la justice qui élève une nation. Mon espérance est qu’on arrive à avoir un système judiciaire indépendant, impartial, qui a travaillé pour faire appliquer les lois, et non pour répondre aux intérêts personnels de certains individus.
En tant qu’organisation, nous continuons à œuvrer en vulgarisant les textes de loi, en menant des plaidoyers et en sensibilisant la population. Plus les gens comprendront leurs droits et exigeront des services publics de qualité, plus notre société pourra progresser. Avec un peu d’espoir, nous finirons par vivre dans un Congo qui sera mieux que le Congo d’hier et le Congo